A 28 ans, Mélanie Aubant est une jeune comédienne au talent prometteur. La série télévisée, Mes amis, mes amours, mes 20 ans, l’a propulsée sur la place publique et de nombreux projets cinématographiques lui sont proposés. C’est d’ailleurs sur un plateau de cinéma qu’elle se trouve en ce mercredi 10 mars. Mais à 11h43, la sidération et le silence règnent dans le studio. Un énorme projecteur vient de s’écraser sur la jeune femme. Elle n’en réchappera pas… Aussitôt, les réseaux sociaux et les médias sont alertés. Le magazine En Avant charge Pascaline Elbert de rédiger un article pour l’édition du vendredi, ainsi qu’un dossier complet pour l’édition de la semaine suivante. Cette mort tragique parvient même à occulter les deux candidats en lice pour la mairie de Paris. Antonin Coustand et Ghislain Dupuis assistent donc, impuissants, à la relégation au second plan de leurs derniers jours de campagne. Afin de donner corps à sa nécrologie, Pascaline prend contact avec Suzanne, la mère de Mélanie. Très vite, une relation de confiance se tisse entre les deux femmes. Et lorsque Suzanne découvre un disque dur dans l’armoire de sa fille défunte, l’enquête prend une tout autre ampleur et risque fort de changer la donne du prochain scrutin…

Claire Bauchart est diplomée de Sciences Po et journaliste pour la presse féminine. Sa parfaite connaissance de ces deux mondes lui a permis d’écrire un roman dans lequel se mêlent différents points de vue, trop souvent fantasmés car méconnus. Les chapitres s’enchaînent au rythme des jours et des heures qui s’égrènent. Le lecteur est pris dans l’engrenage infernal d’une maison de presse et d’une équipe de campagne électorale. Et qui de mieux que Claire Bauchart pour nous offrir un roman politico-médiatique dynamique, au suspens haletant?

Cependant, il serait plus que réducteur de cantonner Ambitions assassines à un simple polar politique, tant il soulève des thèmes sociétaux profonds et complexes.

Le personnage de Pascaline en est l’exemple flagrant. Epouse et mère de famille d’une petite fille, elle est sans cesse tiraillée entre sa vie personnelle et professionnelle. Lorsque sa fille est malade, c’est elle que la crèche appelle. Lorsqu’il faut nommer un journaliste à la tête du service politique, c’est un homme qui lui sera préféré, et pour cause:

Difficile de faire correspondre l’emploi du temps d’un chef de service avec les horaires de crèche, lui avaient alors exposé, pleins de compassion, Baptiste du Charrier et les directeurs adjoints de la rédaction, Romaric et Gaspard, afin d’expliquer pourquoi ils avaient choisi de jeter leur dévolu sur Adrien Molans, pourtant moins expérimenté, moins efficace, mais adepte des horaires élastiques injustifiés.

Nous retrouvons donc Pascaline jugée parfaite pour la rubrique Tendances et compagnie, elle qui avait eu la responsabilité de suivre pendant plusieurs années le parti socialiste… Mais voilà, la journaliste évolue dans un monde de requins où le sexisme règne en maître. On apprendra même que sa fiche de paie indique un écart de 800€ (en moins, est-il utile de le préciser?!) par rapport à celle de son collègue… Même Gabriel, son mari, ne lui offre pas tout le soutien dont elle rêve. Et pour cause, leur couple a battu de l’aile plusieurs mois auparavant en raison des risques encourus par sa femme. Gabriel souhaite juste une vie plus stable et désormais, la rancoeur et la hargne remplacent les mots doux.

La colère de son mari s’apaiserait, s’était-elle persuadée, et les menaces n’étaient jamais que des menaces […]. Ce que la journaliste sous-estimait, c’était le degré de soulagement de son mari lorsque Adrien Molans fut nommé au poste qu’elle briguait. Gabriel s’était senti libéré. Comme si on lui octroyait enfin cette vie de couple tranquille dont il avait rêvé. […] Gabriel avait apprécié que Pascaline fût plus présente, au côté de Lucie, mais également du sien.

Mais pour une femme de la trampe de Pascaline, ayant le goût de l’investigation vissé au corps, est-il possible de faire un choix? Choisir sa profession au détriment de sa famille? Choisir sa famille au détriment de sa profession? Et d’ailleurs, à bien y réfléchir, pourquoi une femme devrait-elle faire un choix? Demande-t-on aux hommes d’avoir le même sens du sacrifice?

A l’instar de Pascaline, Ghislain Dupuis est un personnage haut en couleur. Il est le candidat favori pour la mairie de Paris. Cet homme, marié et père de famille, est ambitieux, voire même vaniteux tant il peut se montrer despotique avec les membres de son équipe. Rien n’y personne ne semble pouvoir se mettre en travers de son chemin. Grâce à lui, le lecteur s’immisce dans les coulisses des campagnes électorales, avec leurs secrets -plus ou moins avouables-, leur rythme effréné, leur boulimie médiatique, leur stress allant crescendo jusqu’à l’estocade finale de l’annonce du vainqueur. Mais avec Antonin Coustand, le second candidat, c’est par un tout autre prisme que nous entrapercevons la politique. Rien de tapageur, bien au contraire. On assiste plutôt à des rendez-vous nocturnes avec la presse, des informations glissées discrètement et sous couvert d’anonymat, des échanges de messages sybillins pour, soit-disant, faire éclater la vérité… Mais la frontière semble bien ténue entre recherche de la vérité et recherche de diffamation ou d’invalidation de campagne.

Comme vous l’aurez compris, Ambitions assassines est un roman noir, un polar politique mais également sociologique. Il y dépeint l’univers de la politique et des médias (où la mort tragique d’une jeune comédienne n’a de valeur qu’en fonction des ventes des magazines). Il met également en exergue ce sentiment intense de culpabilité que toute femme active et mère de famille connait. Oserais-je dire qu’Ambitions assassines est aussi un roman féministe? Par certains côtés, il l’est tant il dénonce le sexisme et le machisme dans certaines catégories socio-professionnelles. On prend plaisir à voir Pascaline rabrouer ses collègues au sourire ironique, on admire sa force et son caractère jusqu’au-boutiste. Claire Bauchart nous offre ici un roman complet, au style incisif et sans complaisance que je vous recommande fortement.

Je tiens particulièrement à remercier le service de presse des éditions du Rocher pour leur envoi à titre gracieux ainsi que Claire Bauchart avec qui les échanges virtuels ont été sympathiques et chaleureux.

Paru aux éditions du Rocher, en avril 2018

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