Aucune frontière ne vous laisse passer sereinement. Elles blessent toutes.

Pour fuir leur misère et rejoindre l’ « Eldorado », les émigrants risquent leur vie sur des bateaux de fortune… avant d’être impitoyablement repoussés par les gardes-côtes, quand ils ne sont pas victimes de passeurs sans scrupules. Le commandant Piracci fait partie de ceux qui sillonnent les mers à la recherche de clandestins, les sauvant parfois de la noyade. Mais la mort est-elle pire que le rêve brisé? En recueillant une jeune survivante, Salvatore laisse la compassion et l’humanité l’emporter sur ses certitudes.

Quatrième de couverture, éditions J’ai lu

L’Eldorado… Combien sont-ils à l’avoir cherché, espéré? Combien sont-ils à l’avoir trouvé? … A quel prix? Car l’Eldorado est un voyage périlleux, triste et misérable avec pour seul but à atteindre, ce mythe que représente l’Europe. Pourtant, gonflés d’espoir, les migrants embarquent dans ces minuscules rafiots et, serrés les uns contre les autres, tournent leur regard vers l’immensité, promesse d’une liberté retrouvée.

Ils levèrent l’ancre au milieu de la nuit. La mer était calme. Les hommes, en sentant la carcasse du navire s’ébranler, reprirent courage. Ils partaient enfin. Le compte à rebours était enclenché. Dans quelques heures, vingt-quatre ou quarante-huit au pire, ils fouleraient le sol d’Europe. La vie allait enfin commencer. On rigolait à bord. Certains chantèrent les chants de leur pays.

Mais sur ces frêles embarcations, les espoirs et désespoirs s’enchaînent, les souffrances endurées se succèdent, les illusions s’envolent pour laisser place à l’implacable réalité de la cruauté des hommes et de la fragilité de la vie.

Les cris avaient été poussés par deux jeunes Somalis. […] L’équipage avait disparu. Ils avaient profité de la nuit pour abandonner le navire, à l’aide de l’unique canot de sauvetage. La panique s’empara très vite du bateau. […] Ils se rendirent compte avec désespoir qu’il n’y avait pas de réserve d’eau ni de nourriture. Que la radio ne marchait pas. Ils étaient pris au piège. Encerclés par l’immensité de la mer. Dérivant avec la lenteur de l’agonie.

Dans cette vaste étendue perdue au milieu de nulle part et sous les traits de Salvatore Piracci, c’est toute l’ambigüité occidentale que l’auteur nous expose. Chargé d’intercepter les embarcations bondées, ce capitaine de frégate sauve les migrants d’une mort certaine, avant de les livrer à la police portuaire qui, après les avoir soignés, abrités, les expulsera loin de cette terre promise. Mais parfois, certains destins se télescopent et font vaciller irrémédiablement les convictions, même les plus tenaces. De sa plume magistrale, Laurent Gaudé, déroule sous nos yeux le processus de transformation du capitaine. Il est de ces rencontres qui se veulent plus déterminantes que d’autres : ce jeune migrant implorant une cachette dans la frégate ou encore cette jeune mère dont le bébé est mort en mer et qui, malgré l’indicible douleur, continue d’avancer jusqu’à son but ultime.

Il y avait en elle une beauté solide et dure, la beauté de ceux qui ont décidé de leur route et qui s’y tiennent. La beauté confère au regard la volonté […]. Il se sentait vide par rapport à elle. D’un vide confortable qui le dégoûtait.

Sentant le vide l’envahir et son humanité s’amenuiser, le capitaine met les voiles. Laissant tout derrière lui, il part à la recherche de son Eldorado. La Terre Promise n’est pas toujours celle que l’on croit.

Les hommes n’étaient décidément beaux que des décisions qu’ils prennent.

En Afrique, le jeune Soleiman quitte son village natal avec son frère et entreprend à son tour une Odyssée à la fin incertaine. A ses côtés, le lecteur ne peut que se laisser envahir par la douleur de l’abandon, de l’adieu, de la peur de l’inconnu.

J’ai vingt-cinq ans. Le reste de ma vie va se dérouler dans un lieu dont je ne sais rien, que je ne connais pas et que je ne choisirai peut-être même pas. Nous allons laisser derrière nous la tombe de nos ancêtres. Nous allons laisser notre nom, ce beau nom qui fait que nous sommes ici des gens que l’on respecte […] Là où nous irons, nous ne serons rien. Des pauvres. Sans histoire. Sans argent.

L’amour fraternel qui les unit renforce le courage de partir et apaise quelque peu la douleur de quitter leur pays et leur mère. Mais, très vite séparé de son frère, c’est seul que Souleiman devra faire route, protégé par Massambalo, le dieu des émigrés. Par deux fois, il croisera le chemin de Piracci.

Fidèle à son écriture fluide et précise, Laurent Gaudé nous offre une vision cruelle, réaliste, poétique et dramatique de notre monde moderne. Au-delà de ces personnages fragilisés par la vie, ce sont tous les hommes que l’on entraperçoit. Les souffrances endurées, les espoirs déchus, la volonté sans faille, l’instinct de survie, la peur, la mort, l’abandon, la fuite et la loi s’entrechoquent, s’affrontent, se combattent pour ne faire jaillir, qu’in fine, le seul sentiment possible, l’humanité.

Un roman passionnant, déroutant, fort et philosophique, paru aux éditions Actes Sud en 2006 puis aux éditions J’ai lu en 2009

Lors de la lecture de ce livre, je n’ai pu m’empêcher de repenser à la magnifique chanson de Grezou M’évader. En parler serait en dire trop, je vous laisse donc la découvrir en cliquant ici

 

4 réflexions sur “Eldorado ♥♥♥

  1. Un merveilleux livre lu l’année dernière en classe. J’avais beaucoup aimé la partie avec Soleiman, d’avantage plus facile à lire que les passages du capitaine Piracci. Cependant, une belle critique que vous avez écrite 😉

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